Les études MCDA depuis 2010.

Je ne vais pas tourner autour du pot, pas grand chose n’a changé depuis 2010, encore moins en France. Le plus gros changement concerne quasi-exclusivement le cannabis. Un petit livre vert créé par NORML Quelle réalité à propos du cannabis en France, en Europe, dans le monde depuis que Gérald Darmanin est ministre ? Quelles évolutions ? Quelle réalité sur la politique menée en France, derrière les chiffres et les statistiques, loin du vacarme des campagnes de communication clinquantes, Plan AntiStup, Opération Place Nette et Place Nette XXL ? La réponse dans ce Petit livre vert. permet entre autre de voir l’évolution internationale des législations autour du cannabis depuis que Gérald Darmanin est ministre de l’Intérieur.

L’Uruguay a légalisé l’usage récréatif du cannabis en 2013, comme la Géorgie, l’Afrique du Sud et le Canada en 2018, le Mexique et Malte en 2021, la Thaïlande en 2022, le Luxembourg en 2023 et enfin l’Allemagne en 2024. Il est très difficile de dire si c’est grâce aux études MCDA, mais cela me paraît peu évident que oui, puisque le cannabis n’est jamais la drogue la moins nocive, et que tous ces pays n’ont pas du tout légalisé le moindre psychédélique.

Des études cherchant à classer les drogues par leurs conséquences ont tout de même continué d’être menées par diverses équipes de chercheurs dans différents pays.

France

En 2012, une équipe française s’est lancée Bourgain, C., Falissard, B., Blecha, L., Benyamina, A., Karila, L., & Reynaud, M. (2012). A damage/benefit evaluation of addictive product use. Addiction, 107(2), 441-450. doi:10.1111/j.1360-0443.2011.03675.x dans une recherche visant à estimer les dommages et les bénéfices liés à 7 drogues, un groupe de drogues synthétiques, et aux jeux d’argent. Malheureusement, il n’y a pas le détail sur ce qu’ils appellent “drogues synthétiques”. Il n’est donc pas possible de savoir s’il s’agit de cathinones, de psychédéliques, de dissociatifs…

L’étude a mis en évidence une plus grande dangerosité de l’alcool, de l’héroïne et de la cocaïne perçue par les experts français. Il est aussi mis en lumière les bénéfices perçus, mais qui manquent encore d’objectivation. La conclusion appelle notamment à mieux étudier les bénéfices liés à l’usage de drogues.

Dans une perspective évolutionniste, ce résultat n’est pas surprenant. Si l’usage de produits psychoactifs est présent dans toutes les cultures et à toutes les époques, c’est en raison du plaisir obtenu, des états émotionnels positifs créés, des effets stimulants et thérapeutiques contre le stress, la douleur, la souffrance ou les symptômes négatifs associés aux troubles psychiatriques. Les données neurobiologiques récentes soutiennent également cette perspective. Les produits psychoactifs modifient et modulent le réseau mésocorticolimbique fondamental impliqué dans le plaisir, la motivation ou la régulation des émotions.

MCDA française
Bourgain, C., Falissard, B., Blecha, L., Benyamina, A., Karila, L., & Reynaud, M. (2012). A damage/benefit evaluation of addictive product use. Addiction, 107(2), 441-450. doi:10.1111/j.1360-0443.2011.03675.x

Europe

En 2015, c’est à l’échelle européenne qu’a été conduite une étude sur les dommages liés aux drogues Van Amsterdam, J., Nutt, D., Phillips, L., & van den Brink, W. (2015). European rating of drug harms. Journal of Psychopharmacology, 29(6), 655–660. doi:10.1177/0269881115581980 . Et nous pouvons y voir dans le premier tableau le détail des poids de chaque critère, comparé à l’étude de 2010 au Royaume-Uni.

Une équipe de 40 experts européens (de 21 pays différents) a du se concerter afin d’appliquer une valeur à chaque critère. Tous devaient avoir une grande expertise du sujet des drogues : épidémiologistes, toxicologues, travailleurs dans le soin en addictologie, hauts fonctionnaires responsables de politiques publiques…

Après de longs débats tous se sont mis d’accord sur des valeurs, ce qui a permis de calculer les scores de chacune des drogues retenues.

Van Amsterdam, J., Nutt, D., Phillips, L., & van den Brink, W. (2015). European rating of drug harms. Journal of Psychopharmacology, 29(6), 655–660. doi:10.1177/0269881115581980
Van Amsterdam, J., Nutt, D., Phillips, L., & van den Brink, W. (2015). European rating of drug harms. Journal of Psychopharmacology, 29(6), 655–660. doi:10.1177/0269881115581980

On peut déjà remarquer que le crack et la cocaïne sont séparés, ce qui paraît logique puisque la voie d’administration (sniff vs inhalation) a un impact sur l’addictivité, la durée et les dosages nécessaires, ce qui implique des conséquences différentes en matière de santé publique. Le crack étant la version “fumable” de la cocaïne, celui-ci est plus addictif et transite plus rapidement dans l’organisme.

La kétamine quant à elle est passée devant les benzodiazépines par rapport à 2010.

Il faut tout de même garder en tête que c’est à une échelle européenne qu’est calculé ce classement et que chaque pays peut avoir ses particularités sociologiques sur les explications de pourquoi qui consomme quoi et comment. Seulement, les recherches concernant les dommages liés aux drogues surreprésentent des drogues aux dommages tout relatifs, tandis que l’alcool manque cruellement de recherche à l’échelle européenne Pallari, E., Soukup, T., Kyriacou, A., & Lewison, G. (2020). Assessing the European impact of alcohol misuse and illicit drug dependence research: clinical practice guidelines and evidence-base policy. BMJ Ment Health, 23(2), 67-76. doi:10.1136/ebmental-2019-300124 .

Quoi qu’il en soit, une constante se dessine et les drogues n’ont que très peu voir pas du tout bougé dans le classement. On pourrait dire que puisque les chercheurs sont pour certains les mêmes que 5 ans auparavant, il peut y avoir une forme de biais qui pousse à convaincre que ce classement là est le meilleur, c’est pourquoi il est intéressant de voir dans d’autres pays avec des chercheurs différents ce qu’il en est. Et, par chance, il y a effectivement eu d’autres classements effectués !

Australie

En 2019, c’est l’Australie qui sort son propre classement Bonomo, Y., Norman, A., Biondo, S., Bruno, R., Daglish, M., Dawe, S., … Castle, D. (2019). The Australian drug harms ranking study. Journal of Psychopharmacology, 026988111984156. doi:10.1177/0269881119841569 , avec la même méthodologie que les études citées précédemment.

Nous pouvons constater une similitude frappante avec les autres classements. A ceci près que la cocaïne est considérée comme beaucoup moins nocive en Australie, du fait qu’on y trouve assez peu de crack et que ce sont plutôt des catégories socio-professionnelles aisées qui ont le plus accès à elle. C’est la méthamphétamine qui est plus répandue et qui monte donc dans le classement. Et une fois de plus l’alcool est la drogue la plus nocive que l’on puisse trouver.

Bonomo, Y., Norman, A., Biondo, S., Bruno, R., Daglish, M., Dawe, S., … Castle, D. (2019). The Australian drug harms ranking study. Journal of Psychopharmacology, 026988111984156. doi:10.1177/0269881119841569

Allemagne

En Allemagne en 2020, un classement quelque peu différent a été établi Bonnet, U., Specka, M., Soyka, M., Alberti, T., Bender, S., Grigoleit, T., … & Scherbaum, N. (2020). Ranking the harm of psychoactive drugs including prescription analgesics to users and others–a perspective of german addiction medicine experts. Frontiers in psychiatry, 11, 592199. doi: 10.3389/fpsyt.2020.592199 . Le papier publié nous permet de comparer aux résultats européens en 2015.

Nous retrouvons toujours les mêmes drogues dans le top 5, les psychédéliques sont toujours assez bas, et curieusement la nicotine est considérée comme bien moins nocive du côté allemand. Ils expliquent cela par le fait que des lois anti-tabac ont été passées et que durant dix ans elles ont été appliquées rigoureusement (interdiction de fumer dans les lieux publics, les restaurants, bars, etc). De plus ils mettent en avant le fait que le tabac n’impacte pas la santé mentale comme d’autres drogues, ce qui laisse penser que pour les allemands les effets sur la santé mentale sont potentiellement considérés comme plus importants à prendre en compte que pour d’autres pays. Mais de manière globale, la conclusion est la même qu’à chaque fois : la législation en vigueur est un non-sens d’un point de vue pragmatique.

Bonnet, U., Specka, M., Soyka, M., Alberti, T., Bender, S., Grigoleit, T., … & Scherbaum, N. (2020). Ranking the harm of psychoactive drugs including prescription analgesics to users and others–a perspective of german addiction medicine experts. Frontiers in psychiatry, 11, 592199.

Colombie

En 2021, un papier colombien Castano, G., Gasca, E. N. G., & Sandoval, J. D. J. (2022). Harm Estimation from psychoactive drug use under MCDA principles and community perceptions in Colombia, 2021 doi :10.21203/rs.3.rs-2206693/v1 (pas encore revu par les pairs) se prête à l’exercice. Ils n’ont pas fait de jolies courbes mais nous avons tout de même des résultats clairs et ordonnés.

Le basuco est un sous-produit Daniels, J. P. (2015). Bogotá tackles basuco addiction. The Lancet, 386(9998), 1027-1028. C’est un rapport et non pas une étude scientifique. et un résidu de la production de cocaïne. Une fois le produit pur récupéré par les producteurs, il reste le basuco. Cette étude de 2021 concerne uniquement la région d’Antioquia, ce qui peut expliquer pourquoi les avis d’experts sont si différents. Il n’est pas absurde d’imaginer que différentes régions dans un même pays aient des particularités sur la consommation de drogues, encore plus entre différentes régions du monde. Pour autant, nous retrouvons à peu près toujours les mêmes différences entre drogues, à ceci près que le tabac semble très peu problématique, bien moins que le cannabis et même le LSD ! N’oublions pas la prise en compte d’opinions dans cette méthode et l’histoire particulière de la drogue en Colombie.
Castano, G., Gasca, E. N. G., & Sandoval, J. D. J. (2022). Harm Estimation from psychoactive drug use under MCDA principles and community perceptions in Colombia, 2021

Nouvelle-Zélande

Pour finir, la dernière étude en date nous vient de Nouvelle-Zélande Crossin, R., Cleland, L., Wilkins, C., Rychert, M., Adamson, S., Potiki, T., … & Boden, J. (2023). The New Zealand drug harms ranking study: A multi-criteria decision analysis. Journal of Psychopharmacology, doi : 10.1177/02698811231182012. , avec 23 drogues classées selon 17 critères parfois revisités pour des raisons culturelles, notamment du fait de la population Maori. Ils ont fait un classement pour la population générale et un classement pour les jeunes consommateurs (de 12 à 17 ans).
Pour la population générale. Crossin, R., Cleland, L., Wilkins, C., Rychert, M., Adamson, S., Potiki, T., … & Boden, J. (2023). The New Zealand drug harms ranking study: A multi-criteria decision analysis. Journal of Psychopharmacology, 02698811231182012.
Pour les 12-17 ans. Crossin, R., Cleland, L., Wilkins, C., Rychert, M., Adamson, S., Potiki, T., … & Boden, J. (2023). The New Zealand drug harms ranking study: A multi-criteria decision analysis. Journal of Psychopharmacology, 02698811231182012.

"Lorsque l’on considère la contribution des critères de préjudice individuels aux scores globaux de préjudice, des différences ont été observées entre la population totale et les jeunes. Par exemple, les adversités familiales contribuent davantage aux dommages pour la population totale, et les dommages liés à la drogue ont tendance à représenter plus de dommages chez les jeunes (par exemple, activité sexuelle non désirée, accidents pour la personne qui consomme la drogue).

Le cannabis a été évalué comme étant plus nocif pour les jeunes, se classant au sixième rang pour les jeunes, contre le neuvième pour l’ensemble de la population. Les notes attribuées par les jeunes au cannabis étaient plus élevées dans la catégorie plus large des méfaits pour soi, avec des contributions plus importantes de critères tels que l’altération des fonctions et la mortalité liée à la drogue (par exemple, en raison des résultats des accidents de la route liés au cannabis où l’altération des fonctions est un facteur contributif ou causal, et de la pondération plus élevée de la mortalité liée à la drogue chez les jeunes).

En revanche, le tabac a été moins bien classé chez les jeunes que dans l’ensemble de la population, en grande partie parce que le panel de jeunes n’a pas pris en compte les effets néfastes accumulés au cours de la vie. Les solvants et les carburants ont également été classés beaucoup plus haut dans la MCDA des jeunes, et ce classement était particulièrement élevé si l’on considérait uniquement les dommages subis par les jeunes qui utilisent ces substances. À l’instar des classements des méfaits pour l’ensemble de la population, les groupes d’opioïdes sont pour la plupart regroupés dans les classements spécifiques aux jeunes.

Cependant, bien que de nombreuses catégories de substances occupent une position similaire dans les classements pour les jeunes et pour la population globale, pour les jeunes, les différences de points entre la drogue classée comme la plus nocive (l’alcool) et les huit drogues suivantes les plus nocives sont bien moindres.

Enfin, bien que les classements des END (electronic nicotinic devices) et des vapes soient encore relativement bas dans les ateliers destinés aux jeunes, ils ont été jugés plus élevés dans cette population en raison des habitudes d’utilisation intensive des individus et de l’impact d’une forte exposition à la nicotine."

Que peut-on retenir de la dangerosité avérée des drogues ?

A priori, on retrouve des tendances partout où les études sont faites. L’alcool est toujours dans le top des drogues dangereuses, les psychédéliques toujours dans les moins dangereuses, et en ce qui concerne les stimulants cela varie en fonction du contexte de consommation dans la société, mais la méthamphétamine et le crack (cocaïne base) semblent avoir une nocivité globalement élevée. 

Pour continuer, on peut se demander si toutes ces études nous permettent d’envisager une quelconque forme de légalisation, et si oui avec quelles drogues.

Bibliographie

Bourgain, C., Falissard, B., Blecha, L., Benyamina, A., Karila, L., & Reynaud, M. (2012). A damage/benefit evaluation of addictive product use. Addiction, 107(2), 441-450. doi:10.1111/j.1360-0443.2011.03675.x

Van Amsterdam, J., Nutt, D., Phillips, L., & van den Brink, W. (2015). European rating of drug harms. Journal of Psychopharmacology, 29(6), 655–660. doi:10.1177/0269881115581980

Pallari, E., Soukup, T., Kyriacou, A., & Lewison, G. (2020). Assessing the European impact of alcohol misuse and illicit drug dependence research: clinical practice guidelines and evidence-base policy. BMJ Ment Health, 23(2), 67-76.

Bonomo, Y., Norman, A., Biondo, S., Bruno, R., Daglish, M., Dawe, S., … Castle, D. (2019). The Australian drug harms ranking study. Journal of Psychopharmacology, 026988111984156. doi:10.1177/0269881119841569 

Bonnet, U., Specka, M., Soyka, M., Alberti, T., Bender, S., Grigoleit, T., … & Scherbaum, N. (2020). Ranking the harm of psychoactive drugs including prescription analgesics to users and others–a perspective of german addiction medicine experts. Frontiers in psychiatry, 11, 592199.

Castano, G., Gasca, E. N. G., & Sandoval, J. D. J. (2022). Harm Estimation from psychoactive drug use under MCDA principles and community perceptions in Colombia, 2021

Crossin, R., Cleland, L., Wilkins, C., Rychert, M., Adamson, S., Potiki, T., … & Boden, J. (2023). The New Zealand drug harms ranking study: A multi-criteria decision analysis. Journal of Psychopharmacology, 02698811231182012.

Daniels, J. P. (2015). Bogotá tackles basuco addiction. The Lancet, 386(9998), 1027-1028.